«Il est toujours avec moi»
Interview
Ensaf Haidar n’a pas vu son mari, Raif Badawi, depuis 2009. Le blogueur saoudien a été emprisonné en 2012 pour avoir «insulté» l’islam à travers son site Free Saudi Liberals. Son tort? Avoir prôné la fin de l’influence religieuse sur la vie publique du royaume et avoir critiqué la police religieuse. Le verdict est tombé en mai 2014: 10 ans de prison, 1000 coups de fouet répartis en 20 séances de flagellation et une amende de plus de 260 000 francs. Forcée à l’exil au Canada, sa femme est depuis de toutes les tribunes pour obtenir sa libération. Comme aujourd’hui, au Geneva Summit for Human Rights and Democracy.
Quand avez-vous parlé à votre mari pour la dernière fois?
C’était il y a dix jours. La prison a un téléphone public. Je ne peux pas l’appeler. J’attends donc qu’il le fasse. Les appels sont toujours très courts. En général, il n’aime pas parler de lui et de sa vie en détention. Mais j’arrive à savoir comment il va d’après le ton de sa voix. Là, j’ai compris qu’il ne mangeait pas correctement et qu’il était maltraité.
Que savez-vous de ses conditions d’incarcération?
Ses journées sont extrêmement longues et ennuyeuses. Il n’a strictement aucun moyen de savoir ce qui se passe en dehors des murs de la prison. Son monde se résume à sa cellule. Ses jours commencent et finissent là.
Le seul espoir serait une grâce de la part du roi Salmane ben Abdelaziz al-Saoud. Y croyez-vous encore?
Pour être honnête, je n’ai pas perdu espoir. Même si, objectivement, je sais qu’il n’y a pas d’éléments poussant en ce sens. Mais il faut rappeler qu’il n’a pas commis de crime et qu’il n’a rien fait de mal!
Comment tient-il le coup?
Il croit en son message, en sa position. Il n’a insulté personne. Il a juste demandé des droits. Il reste fort car il sait qu’il défend une cause juste.
Et vous?
Je remercie toutes les personnes qui se mobilisent pour nous. Moi, je ne suis pas seule. Ce lundi, je suis en Suisse. Dès que mes amis au Canada ont appris ce déplacement, ils ont tout organisé pour s’occuper de mes enfants. Sans eux, je ne pourrais rien.
Justement, comment vont vos trois enfants?
C’est très dur. Ils essaient de vivre normalement, d’aller à l’école, de jouer avec leurs amis. Mais ils ont besoin de leur père. Il leur manque. Malgré tout, ils continuent de vivre.
Vous n’avez pas vu votre mari depuis 2009 et pourtant vous êtes devenue sa porte-parole. Comment vivez-vous ce paradoxe?
Il est avec moi tout le temps dans mon cœur. J’ai l’espoir que le jour de sa libération viendra. Il n’y a pas de paradoxe, car je suis toujours très attachée à lui. Il est avec moi.
Votre amour semble très fort. Et tout a commencé par erreur, en fait…
Oui, il s’est trompé de numéro de téléphone et est tombé sur moi! La plus belle erreur qui ait jamais été faite dans la vie!
Vous avez reçu un grand nombre de prix en son nom. Ces récompenses servent-elles à quelque chose?
Bien sûr, c’est une grande aide. Pour l’instant, elles n’ont pas permis de changer les choses. Mais elles nous aident sur le plan émotionnel. Et on espère qu’un jour elles porteront leurs fruits.
Imaginez-vous revivre un jour en Arabie saoudite?
Non, absolument pas! Je suis entourée de mes amis maintenant au Canada. Et, après tout ce qui s’est passé, je ne pense pas que ce soit possible un jour… Je veux que Raif me rejoigne, et j’espère que ce sera bientôt.
L’an dernier, il y a eu 153 exécutions dans votre pays. Du jamais-vu en vingt ans. Comment expliquez-vous ce durcissement?
Cette évolution est trop douloureuse. Je préfère ne pas en parler.
Diriez-vous que la communauté internationale fait preuve de laxisme à l’égard de Riyad?
Je ne veux jeter la pierre à personne. Mais je voudrais que tous ceux qui nous soutiennent continuent, comme l’Union européenne par exemple.
Et la Suisse?
Je voudrais demander quelque chose à votre pays, qui entretient de bonnes relations avec l’Arabie saoudite. J’aimerais que les droits humains soient une priorité dans les discussions et que la Suisse intercède en faveur de mon mari.